A propos de Noteo, Shopwise et OpenFoodFacts

Venez ! Je vous fais entrer dans les coulisses. Je profite de la sortie d’une application prometteuse, Noteo, pour ressortir un brouillon que j’avais écrit à l’époque suite à mes rencontres avec deux autres initiatives similaires, à savoir Shopwise et OpenFoodFacts.

De quoi s’agit-il  ? Eh bien c’est une vieille réflexion dans le milieu de l’éco-conso et donc pour eco-SAPIENS qui baigne… voire transpire dans ce milieu. En réalité en interne, ca fait depuis 2006 que l’on débat sans fin de la controverse.

Voilà l’idée. Et si, en plus du prix, on attribuait à tous les produits de la vie courante une note éthique. Une note, qui serait un graal, et qui permettrait en un coup d’oeil de disqualifier tel ou tel article. De même que l’on s’exclamerait « Trop cher ! » on pourrait enfin dire « Trop crado » .

Le nec plus ultra, ce serait une note qui intègre tous les aspects : sociaux, environnementaux et sanitaires. C’est le paradoxe du règne de la marchandise : d’un côté ca pullule tellement dans les rayonnages de supermarchés que nous voilà perdus. Et de l’autre on ne demande qu’à ce que les courses se fassent sans prise de tête.

Et que fait l’homme face à un problème ? Il pourrait interdire les mauvais produits. Mais ce serait trop facile. On touche pas à Nutella, même avec une taxe de 3 centimes… Non, l’homme moderne propose de l’innovation technologique pour que chacun, en son âme et conscience algorithmique, et par le truchement du smartphone, adopte le produit le mieux noté.

Un petit tableau pour voir de qui on parle.

Noteo ShopWise

OpenFoodFacts

Notation De 1 à 10 De 1 à 10 Pas de note
Principe Comité d’experts.
Analyse de cycles de vie.
Note initiale à 5/10
Système bonus et malus.
Grille claire.
Repertorie tous les ingrédients et mentions
Fonctionnement Associatif Start-Up Collaboratif (type wiki)
Taille du registre 45 000 produits au lancement 40 000 produits en deux ans 4 500 produits en six mois
Modèle économique Jumelée avec une entreprise vendant la solution pour les fabricants Publicité
Autres
Bénévolat !
Force Gouvernance innovante impliquant des ONG Orienté diététiqueDesign et ergonomie Participatif
Faiblesse Incohérences accidentelles des notes faible réflexion environnementale. Label rouge est au même plan que AB par exemple DesignQue l’alimentation

 

 

Il se trouve que j’ai pu m’entretenir avec chacun des fondateurs : Frédéric, Stéphane et Baptiste. 3 profils complètement différents, ce qui n’étonne guère quand on voit le tableau. Du start-up, du open data et du semi-associatif. Je ne vous cache pas être davantage séduit par l’initiative OpenFoodFacts qui fait le pari wikipedien que, tout cela évoluant très vite, mieux vaut le faire en mode opendata et collaboratif.

En tout cas, voilà 3 modèles intéressants qui viennent suppléer l’absence de GoodGuide en France. Vous ne connaissez pas GoodGuide ?

Sur la fiche Wikipedia, on y lit que le site américain a levé plus de 8 millions de dollars (à comparer aux 2 millions pour Noteo, 800 000 € pour Shopwise et 0 € pour OpenFooodFacts) et est classé aujourd’hui 57 000ème site selon Alexa. Pas génial… eco-sapiens est classé 73 000 ème et a levé… 40 000 € ! A propos de levée de fonds, je vous rappelle que l’on va bientôt clôturer notre deuxième levée. Si ca vous intéresse, faut y aller !

En tout cas, GoodGuide, tout comme l’expérimentation sur l’affichage environnemental en France, est le site que je regarde régulièrement pour savoir si oui ou non, les gens sont intéressés par cette notation de produits.

Eh bien, au risque de jeter un pavé dans la mare… je crois que tout le monde s’en fout ! Je ne dis pas que l’exercice n’est pas intéressant. Mais, tant pis si je suis en porte-à-faux avec les rapports auto-persuasifs d’Ethicity, la vénérable institution qui pratique la méthode Coué sur le développement durable et les Français, tout montre que la notation éthique, c’est fun mais ca ne change pas les habitudes de conso.

Bref, nous tous, y compris eco-SAPIENS, les dévoués à la promotion de la conso durable, nous faisons le pari que l’information et la pédagogie auront raison des réflexes pavloviens du consommateur avide de payer toujours moins cher. Nous travaillons nos méthodos, nous affutons nos enquêtes d’opinions, nous organisons de savants colloques, persuadés qu’au final, la raison éthique l’emportera sur la raison du prix et du marketing.

Comme l’on se fourvoie…

A titre perso, le livre qui m’a le plus accompagné depuis que je m’intéresse au sujet est « La société de consommation » de Jean Baudrillard. Pas très original certes. Il n’empêche que la thèse se vérifie sans réserve. Vous, nous, tout le monde achète non pas pour des besoins, non pas pour des désirs… mais pour des signes. La consommation peut-être vue comme un vaste échange de signes. Qu’allez-vous « dire » à votre entourage en portant telles chaussures, en conduisant telle voiture, en mangeant tel tofu ou en sirotant tel cocktail ?

Exemple marquant : quand depuis plus d’un an, on parle de consommer français, qu’un ministre fait du « made in France », (tendance qui n’avait été annoncée par personne en 2009), quand on voit que les néophytes privilégient le local sur la bio pour l’alimentation, on est complètement dans l’irrationnel, et bel et bien dans le signe. Pourquoi irrationnel ? Parce que les valeurs auxquelles l’achat local renvoie (le soutien à l’économie, le protectionnisme, le repli sur soi, la simplicité, le lien direct) étaient tout à fait has been quelques années avant. De même que porter du Lacoste à 18 ans dans les années 90 aurait été ridicule…

A propos de local, relevons cette étrangeté qu’une note environnementale fait fi du lieu d’achat. Or, on sait pertinemment que l’impact carbone dû au transport est bien plus lié à l’usage qu’à l’objet lui-même. Acheter en grande surface pollue plus qu’en magasin de ville.

Et donc on fait quoi ?

Au risque de me répéter, la meilleure manière de consommer, c’est encore de faire en sorte que le produit raconte son histoire.

  • Et idéalement, celui qui peut raconter l’histoire c’est le vendeur. Évidemment, aujourd’hui, vous aurez du mal à obtenir des infos auprès de la caissière.
  • Alors du coup, la publicité peut vous raconter l’histoire. Mais vous devinez bien que cette histoire est légèrement biaisée…
  • Alors reste le label, censé s’intéresser à un épisode précis de l’histoire. AB vous résume l’absence de pesticides. 3 sur un oeuf vous indique que la poule n’a pas eu une vie des plus heureuses. 30 en début d’emballage vous indique que l’objet a des chances d’être produit en France. Etc.
  • Avec la note on obtient la conclusion de l’histoire. Mais souvent le « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ne reflète pas les malheurs qu’ont vécus les protagonistes.

Avec le guide « les bons labels et les truands« , seul support de présentation des labels qui ait vraiment trouvé son public, nous savions qu’il y avait un paradoxe dans notre démarche, identique à celui de la notation.

On ne va pas améliorer notre conso avec un smartphone ou un dépliant. Tout juste faut-il reconnaître que ces « outils » permettent d’introduire les problématiques : déforestation, santé, pesticides, spoliation etc… Mais qu’en dernière instance, c’est bien un effort humain et non pas un effort technique qui nous permettra de consommer autrement.

Loin de moi l’idée de dire que ces initiatives sont des coups d’épée dans l’eau. A vrai dire, sur eco-SAPIENS nous notons aussi les 60 000 produits selon notre propre algorithme. Mais la note reste cachée; seul l’affichage des produits se fait par notation. Nous pensons notre démarche rigoureuse (15 paramètres, différenciation selon les labels etc) mais par humilité nous reconnaissons qu’il y a toujours du subjectif. Mais surtout, nous faisons une pré-selection car notre idée est bien de rendre visible des produits vertueux. D’opérer une différenciation…

Tout compte fait, je reste plutôt admiratif car se lancer dans l’analyse de dizaines de milliers de produits (il s’en créé tous les jours), c’est une démarche digne des Encyclopédistes ! Mais voilà, le cyclope n’a qu’un oeil. Et nous, pauvres humains, il nous faut utiliser les deux.

 

Addendum :

Je découvre l’article sur Rue89 « J’ai testé Noteo ». Rigolo, j’ai pu voir que Maison Verte était bien noté. Or, c’est justement une marque que j’ai allumée lors d’une démo sur ecoplusTV car de vert il n’y a que le nom. C’est d’ailleurs dommage que Noteo ne montre pas les produits les plus vertueux (Lerutan est une lessive labellisé Nature&Progrès), certes pas dispo en grande surface…

3 réflexions au sujet de “A propos de Noteo, Shopwise et OpenFoodFacts”

  1. Merci Baptiste, depuis 5 ans déjà, tu m’ouvres les yeux sur la vie, la conso, la science, les vérités pas vraies, les doutes,… Je ne suis pas tout à fait d ‘accord avec toi sur le fait que les consommateurs vont s’en foutre des notes…mais j’apprécie tes analyses. Je vais transférer…et puis aujourd’hui je mets qq sous dans eco-sapiens (après y avoir mis de la sueur)

    Répondre
  2. Je suis aussi interpellée par le fait de voir qu’un assouplissant étamine du lys était noté au lancement du site 1.7 / 10 alors qu’il est certifié écocert et que la notation faisait place belle à un assouplissant soupline de base qui obtenait plus de 7 /10. Y a comme un bug dans le système
    Par ailleurs je suis aussi étonnée du modèle économique de ce type de guide, sans avoir à créer de dépenses (budget com) de la part des marques traditionnelles;

    Répondre

Répondre à shopwise Annuler la réponse