Bashing, course au clic et autres aveux de faiblesse

singe-fuck   Un des plus grands mathématiciens, et certainement aussi un des plus grands penseurs, vient de mourir. Et il s’en est fallu de peu pour que le nom d’Alexandre Grothendieck disparaisse à jamais. Peut-être son caractère loufoque, sa vie retirée du monde et brouillée avec tous, a-t-elle justifié l’intérêt des médias pour décider de divulguer sa nécrologie. Ce nom signifiait à mes oreilles un personnage confidentiel, réservé aux quelques passionnés de la réflexion sur la Technique, dont quelques textes circulaient pour ainsi dire sous le manteau…

On parle de lui dans la sphère médiatique, peut-être plus pour son aspect érémitique que mathématique. C’est un syndrome normal dans les médias et surtout Internet : il faut faire du scoop, du bashing, du hoax, du buzz, du speed-listing (« Les 5 villes à visiter », « Les 10 photos de chat les plus drôles »…)

Autre exemple trouvé récemment, un article sur le média Vice a eu un fort succès. Le titre est volontairement provocateur : « Le tourisme est devenu un truc de gros cons narcissiques » et le propos ne faisait pas non plus dans la mesure, tirant certes à juste titre sur ce qu’est devenu le tourisme (et ô combien parlant car qui ne se reconnaîtra pas dans certaines descriptions) mais qui n’interroge pas en profondeur ce que peut être à l’inverse un tourisme durable, responsable, slow….

Nos articles sur via-sapiens, et bien d’autres avant nous bien sûr, creusent depuis longtemps cette question. Notre rapport au temps, notre rapport à l’image et au souvenir, et surtout notre rapport à l’autre, constituent autant de sujets à explorer et à partager. Et cela, l’article de Vice ne le fait pas. Il se contente de bourriner !

tarte-creme

Economiser l’eau sert bien à quelque chose !

Autre article que l’on m’a soumis et qui m’a laissé sans voix, c’est un billet publié sur Consoglobe qui par contre n’a même pas l’avantage d’être plaisant à lire. Malgré son bâclage patent, il tourne sur la toile et l’on se permettra de subodorer un article conçu non pas pour apprendre quelque chose au lecteur mais juste pour doper du « pageview » et du « click » à gogo.

« Economiser l’eau ne servirait à rien !? » Ainsi nous interpelle l’auteur (et fondateur de Consoglobe) avec une ponctuation so teenager : le point d’exclamation pour le côté choc, l’interrogation pour le côté fumeux.

Car oui l’article est une fumisterie.

Des généralités tautologiques introduisent l’article. Le début revient à écrire cela :

« Dans les pays sensibilisés au sujet des économies de ressource, la bonne gestion des ressources est très importante ».

Merci !

Puis vient la raison « scientifique » qui nous vient d’une équipe allemande. Consommer moins d’eau induit une baisse de circulation dans les canalisations. L’eau stagne davantage et favoriserait l’apparition de gaz en suspension qui endommage le tuyau.

A Cologne par exemple où l’eau stagne trop longtemps dans le réseau de distribution, les caves et les sous-sols avant d’atteindre les stations d’épuration, il faut utiliser plus d’énergie et plus de produits chimiques pour la traiter;

J’imagine qu’il faut lire « réseau d’évacuation » et non « distribution »  et je déduis qu’il s’agit du problème très classique du dimensionnement des stations d’épuration. Il est connu qu’à Paris, pendant les vacances d’été où la baisse de population entraîne une baisse de consommation d’eau, le système de traitement est contraint d’amener un surplus d’eau juste pour que le système fonctionne. Une logique qui n’est pas sans rappeler les incinérateurs surdimensionnés qu’il faut « nourrir »  avec des déchets recyclables.

Après l’avis du géologue, on invoque un ingénieur, Hans-Jürgen Leist, avec son rapport « Economiser l’eau en Allemagne est un non-sens ».

Ses conclusions ont bien sûr surprise [sic] et même choqué les écologistes, persuadés de bien faire.

Selon Hans-Jürgen Leist et d’autres scientifiques et d’autres savants [sic : qui sont donc ces savants bien distincts des scientifiques ?], les Allemands ont longtemps été influencés par les nombreuses campagnes publicitaires et informations permanentes sur la sécheresse.  Mais ces informations concernaient les autres pays du monde et personne ne leur a dit que leurs efforts quotidiens n’ont aucun effet sur la situation de l’eau dans le reste du monde. S’il n’est pas mauvais comme on l’apprend à l’école primaire de fermer le robinet quand on se lave les dents ou les cheveux, ces scientifiques nous disent cette économie [sic] sera sans effet dans la lutte contre la sécheresse en Afrique.

dites-le-avec-des-fleursBon alors il y a peut-être vraiment des Allemands qui pensaient que leur robinet puisaient dans les nappes phréatiques de la Somalie… Après tout il y a bien des Français qui pensent que la Lune n’est pas un satellite puisqu’on ne capte pas la télé avec la Lune… Mais je ne crois pas que la faiblesse d’esprit du grand public puisse suffire à discréditer la vertu des économies d’eau.

On est en tout cas ravis que cela ait occupé M Leist. Et d’autres scientifiques. Et même d’autres savants ! Bizarrement, tout ce gratin réuni dit quand même entre les lignes que ce n’est pas mauvais d’économiser… alors que l’on tente de nous expliquer que justement si, que cela a des impacts (vous vous souvenez le gaz dans les tuyaux ?) Il va donc falloir accorder le violon de l’ingénieur et du géologue.

Le prix de l’eau

Un dernier argument pour expliquer qu’économiser l’eau n’est pas forcément une bonne chose ? En fait vous ne le saviez pas, mais consommer moins d’eau c’est payer plus cher…

Pourquoi ?
Par [sic] les coûts d’approvisionnement en eau sont fixes et que c’est avec les recettes issues de la vente de l’eau qu’on peut amortir les énormes investissements du réseau d’eau potable et d’assainissement. Moins de litres d’eau pour absorber les coûts, c’est un prix par litre qui augmente.

On se demande même pourquoi tout le monde n’ouvre pas les vannes à fond les ballons afin d’atteindre la gratuité de l’eau !

arabie-saouditeAborder en quelques lignes les enjeux autour du traitement de l’eau, les économies d’échelle, les effets de seuil et même la question du mode de gestion (régie publique ou système privé) n’est pas raisonnable.

Pour avoir participé au forum mondial de l’eau, je peux témoigner que les enjeux industriels et financiers sont immenses et que les lobbys associés sont puissants. Je rappelle par exemple que nos champions français de l’eau aiment à jouer les indignés sur ce tiers-monde qui ne peut même pas avoir des toilettes à l’occidentale… c’est-à-dire qui gaspillent des dizaines de litres d’eau potable pour quelques gouttes de pipi. Mais on s’éloigne du sujet. En tout cas quid prodest ?

Le sujet abordé est le même que celui évoqué plus haut à savoir le dimensionnement de nos stations. De la même manière que l’on a équipé les ménages français avec du chauffage électrique parce qu’il fallait bien « rentabiliser » notre surproduction nucléaire. Comme pour l’électricité donc, il est peut-être temps de repenser nos installations sanitaires globalement…

Mais lisons la suite de ce laborieux article.

La consommation quotidienne en eau d’une famille française [sic] est de :

  • 900 litres à Dubaï
  • 375 litres aux Etats-Unis
  • 170 litres en France, Italie et Grande-Bretagne
  • 120 litres en Allemagne

Evidemment, il s’agit d’une famille tout court. A moins que l’on aille inspecter les consommations d’eau des familles françaises vivant à Dubaï… Et l’on va supposer, puisque cela n’est pas précisé, que toutes ces familles sont constituées de 4 personnes.

Une famille allemande, qui consomme environ 184 000 litres d’eau par an, est donc bien aqua-sobre.

Bigre ! Petit problème quand même : 120 L x 365 jours donne 43 800 litres et non pas 184 000 litres. C’eut été la moindre des choses que de s’accorder au moins sur ses propres chiffres.

Le plus cocasse est à venir :

Cela n’a pas fait baisser le prix de l’eau en Allemagne pour autant, au contraire, le prix est passé de 185 euros en 2005 à 205 €[sic] en 2013. Un argument sur lequel s’appuient ceux qui nient l’utilité des économies d’eau

La logique rationnelle en prend un coup. Il semble que l’auteur n’a pas été effleuré par l’idée que d’autres facteurs puissent expliquer une hausse du prix de l’eau… Ne serait-ce que l’inflation… 10% d’augmentation avec une inflation globale de 10%.

Je ne sais pas si par exemple, vous avez regardé vos factures de gaz mais sur mes dernières, j’ai consommé moins et pourtant j’ai payé plus ! J’ai découvert qu’on avait augmenté l’abonnement, que les taxes avaient augmenté aussi. A ce propos, je me permets de rappeler un de nos articles : Les villes françaises consomment moins d’énergie mais ne voient pas la facture diminuer ! On va peut-être nous expliquer que ce sont les bulles de gaz qui encombrent les câbles électriques parce que l’on consomme moins d’électricité… Je suis mesquin !

Cela ne semble par [sic] perturber les habitudes des citoyens allemands qui sont plus de 50% à être déterminés à continuer à réduire leur consommation d’eau, par principe et par respect de l’environnement et des générations futures. C’est bien plus que dans les autres pays européens : entre 30 et 38% en Italie, Espagne, France et Angleterre.

Qu’est-ce que c’est que ce sondage ? A ma connaissance, les études d’opinion sur ce sujet (Ademe, ethicity) montrent toujours une massive adhésion aux écogestes. Si quelqu’un a la source (d’eau !) je prends .

Viennent deux paragraphes surréalistes

Une enquête menée dans la partie est de Berlin a même montré que très peu de personnes sont prêtes à changer leur point de vue : c’est là où on peut trouver des personnes qui disent ne pas prendre plus de 3 douches par semaine par souci écologique ou d’autres qui limitent leur durée de douche à quelques courtes minutes.

Par ailleurs, un organisme public comme la Berliner Wassertriebe s’est engagé dans la lute [sic] contre la contre la stagnation des eaux usées et a créé un groupe de travail appelé « l’odeur et la corrosion » pour s’attaquer à l’insuffisante circulation de l’eau et la stagnation des eaux usées par l’utilisation de sels et de panneaux filtrants et déodorants.

Et si vous aimez toujours les listes à la Prévert !

On ne sait pas qui aura le dernier mot dans ce débat sur l’utilité des économies d’eau dans nos pays. On verra bien qui a raison avec les futures études mais en attendant, personne ne peut nier le caractère précieux d’une ressource qui se fait rare en bien des points de la planète. Le réchauffement climatique (sans aller jusqu’à parler de la fragilité d’un écosystème planétaire dont l’eau peut s’échapper comme en témoigne la planète Mars) ne peut que nous inciter à respecter une ressource à laquelle nous devons la vie.

En France, on continue à faire des efforts d’économie. Par exemple l »agence[sic]  de l’eau Rhône Méditerranée Corse lance ce jour un appel à projets avec 20 M€.

L’évaporation sur Mars, l’appel à projet d’une agence de l’eau, les banalités sur le fait que l’eau c’est précieux… j’avoue avoir cherché un fil conducteur. En vain.

Voilà voilà j’en ai fini. Ceux qui connaissent ce blog savent qu’on est pas des adeptes du règlement de compte. Si je me suis permis d’épingler cette publication en particulier, c’est aussi qu’elle émane d’un site qui prétend aider les internautes à mieux consommer. De notre côté et avec nos modestes moyens mais nos prétentieux idéaux, nous avons toujours fait attention au contenu de nos publications. Nous sommes humains et nous pratiquons parfois, consciemment ou inconsciemment, les petites recettes de comm sur le web. Mais j’espère au moins que sous prétexte de bashing un peu racoleur, vous nous quitterez un peu moins bête.

Sur les économies d’eau, vous ne vous ferez plus avoir par les faux sceptiques 😉

 

Bonus : quelques chiffres vérifiés sur l’eau

Quand on consulte les statistiques sur l’eau il faut savoir de quoi on parle ce qui n’est pas forcément évident. D’abord parce que l’on peut raisonner soit sur le prélèvement (la « production ») soit sur la « consommation ». C’est un peu comme pour l’énergie.

Les choses se corsent dans la mesure où la consommation des ménages ne représente qu’entre 15 et 17% de l’utilisation. Une immense partie file vers l’énergie (encore ces centrales nucléaires) et l’agriculture.

Cela se complique encore si l’on inclut dans la consommation « par personne » la consommation liée aux équipements publics (écoles, hôpitaux, entreprises…)

Ainsi, si tout le monde s’accorde globalement pour une consommation personnelle et domestique de 150L par jour, il faut rajouter 200L si l’on considère la consommation personnelle non domestique.

En tout cas, la différence entre France et Allemagne, en L/jour/personne est plutôt 150 vs 130 et non 170 vs 120.

Il y a donc par ordre décroissant pour un Français :

  • une « empreinte eau personnelle » : elle est immense car elle intègre la consommation de biens et services : 1875 m3/an soit 5 140 L/j
  • un ratio « prélèvement/habitant » : 540m3/an soit 1500L/j
  • une consommation personnelle : 350 L/j
  • une consommation domestique : 150L/jour

Bref, il y plus qu’un facteur 30 entre votre robinet personnel et votre empreinte eau globale. Et comme d’habitude avec ces manipulations de grands chiffres et de grandes échelles, ce n’est pas parce que c’est anecdotique qu’il ne faut rien faire. Oui l’agriculteur à côté de chez annihilera tous vos efforts, mais il produit des légumes pas vous (et il ne consomme pas le même type d’eau que vous et il peut aussi faire des efforts…). Oui la centrale nucléaire engloutit des millions de m3 mais elle produit de l’électricité (avec un rendement minable certes mais c’est une autre histoire) et une bonne partie de cette eau retourne à la rivière. Et on oublie pas les canalisations gérées par nos champions de l’eau mais qui fuient comme des passoires. Environ 30% de perte lors de l’acheminement !

Bref, malgré tous ces dysfonctionnements et votre petitesse de colibris qui ne prenez qu’une goutte, vous, simple particulier, vous utilisez souvent une eau qui a patiemment mûri ou voyagé Elle mérite toute notre attention. Comme pour toute action collective… les petits ruisseaux font les grandes rivières !

2 réflexions au sujet de “Bashing, course au clic et autres aveux de faiblesse”

  1. Quel que soit le sujet abordé les articles qu’on lit à droite et à gauche sont illogiques. Ca peut durer très longtemps et sans que personne ne fasse une remarque.

    Par exemple, ça fait des années que la presse médicale et généraliste dit que la France ne consomme pas assez de médicaments génériques. Le périmètre génériquable (37% en volume du médicament prescrit) dépend entièrement de la réglementation. On fait 31% de génériques en volume, donc on est presque au top, impossible de dépasser le plafond. Mais c’est ignoré et on évoque régulièrement les mesures : incitation ou sanctions pour les médecins, prescription en DCI, etc.

    L’argument du « prix de l’eau » me fait penser aux raisonnements spécieux basés sur la comptabilité analytique unitaire que les directions financières imposent à l’hôpital. On peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres en choisissant la bonne imputation. Par exemple, on pourrait croire que mes programmes de formation ont un coût par stagiaire moindre si j’ai beaucoup de stagiaires. Mais non, disent les financiers, car l’absence du stagiaire de son service est un coût à imputer à la formation ! Et ils suggèrent donc de remplacer nos formations gratuites par des formations payantes réalisées à l’extérieur, pour économiser…

    En cherchant, on en trouve des dizaines comme ça tous les jours.

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