Combien coûte une abeille ?

Aile de papillonSouvent, après des débats sur le développement durable ou l’environnement, il arrive qu’on parle du coût de telle catastrophe ou telle disparition.

Le fameux rapport de Sir Nicholas Stern estime par exemple 5 500 milliards d’euros le coût du changement climatique. Il existe une bourse et un marché du carbone (reventes de droits à polluer).

Il y a aussi des estimations précises comme:

La destruction de la nature coûterait 2 000 milliards d’euros par an au monde, soit 6% du produit national brut (PNB) mondial, selon une étude qui a été présentée le 22 mai à Bonn, lors de la neuvième session de la Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique.

Selon une étude récente publiée dans la revue Ecological Economics, on estime que la valeur économique de la pollinisation dans le monde atteint plus de 215 milliards de dollars, soit environ 9,5 % de la production agricole mondiale.

Ainsi donc, puisque les économistes n’ont pas souhaité s’intéresser à l’écologie, les écologistes se retrouvent obligés de parler le langage économique pour se faire comprendre. A moins que ce ne soient les économistes qui soient forcés de traduire du qualitatif dans leur langage comptable.

Forcément, devant un tel glissement sémantique (« protéger notre écosystème car c’est vital«  => « protéger l‘écosystème car sinon ça coûte cher… ») nous sommes divisés. Quelqu’un de pragmatique dira que c’est la bonne manière pour faire changer les choses. Mais on peut aussi penser que ce changement de vocable finira par se retourner contre ceux qui l’ont adopté.

En effet, à trop s’appuyer sur des tarifs et de telles tables de conversion (1€ l’abeille, 30 cts le lombric, 15 € le kg de carbone…) on risque d’ajouter des choux et des carottes. Et si les carottes sont moins chères.. à quoi bon continuer à planter les choux ?

Roger CailloisCela pose surtout la question de l’utilité*. A savoir, est-ce qu’il faut sauver ce qui est utile àAinsi, certains insectes peuvent paraître moins utiles ou moins efficaces que leurs consœurs pollinisatrices. Et alors ?

Comme le dit Roger Caillois à propos des dessins sur les ailes de papillon:

Dans les ailes de papillon, au contraire, il y a véritablement beauté, au sens large du mot, car il y a création par la biologie de combinaisons heureuses de formes et de couleurs, qui ne s’expliquent pas par la simple économie. Dès lors, il est permis de parler d’art […].

* A propos d’utilité, la revue Entropia de cet automne s’intitule « Trop d’utilité ? »

4 réflexions au sujet de “Combien coûte une abeille ?”

  1. Belle mise en question des discours qui s’auto-proclament « pragmatiques ». Le coup des carottes est du plus bel effet.
    Il est évident que les coûts futurs et lointains ne font peur à aucun acteur économique majeur. Au contraire, ce sont autant de promesses de nouveaux marchés. Il n’y aura bientôt plus d’abeilles ? Où est le problème puisque nous vendrons des semences, des pollénisateurs artificiels, des fruits et légumes clonés, etc. ? Pas de quoi faire mal au PIB, au contraire.
    Par ailleurs les prévisions économiques à moyen et long termes sont totalement fantaisistes, beaucoup plus que les prévisions sur l’évolution globale de l’écosystème.

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  2. erratum: comme ils sont de plus en plus nombreux à s’auto-proclamer tels (bien qu’ils soient peu à voir dans les pragmata les choses mêmes, celles qui ont une valeur pour la vie et non une valeur sans vie), ils le font au pluriel.

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  3. « Par ailleurs les prévisions économiques à moyen et long termes sont totalement fantaisistes, beaucoup plus que les prévisions sur l’évolution globale de l’écosystème. »

    Donc quand on mélange les deux… ca devient quoi ?

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