En se promenant dans le Jardin des Plantes

jardin-des-plantes-paris0030J’ai toujours rêvé d’un livre qui ne dresserait des portraits que d’inconnus cotoyés à peine quelques minutes. On échange quelques mots dans un train, on créé un fort sentiment de sympathie au détour d’une rue. On se dit que celui ou celle-ci aurait pu être l’alter ego de toujours. Mais on sait aussi que cette rencontre s’évanouira dans le temps qui vient. On accroche sur un papier, éventuellement, une adresse ou un numéro, se promettant d’écrire une lettre dès que possible.

Et on n’écrit jamais.

Je ne vais pas ici établir ma propre liste car chacun de ces portraits nous emmènerait loin. Ce livre rêvé, c’est à chacun de l’écrire. Comme tout ceci serait bien plus beau que les liens virtuels des réseaux sociaux où les amis d’antan redeviennent inexorablement des inconnus.

Bref. Voici la dernière rencontre en date. Ce dimanche, arpentant le Jardin des Plantes, un vieillard en manteau long et usé, aux gants de cuir, au nez égratigné et arborant comme couvre-chef une sorte de bob en velours, m’accoste par un mot d’esprit.

« Et Dieu créa l’homme à son image » me dit le vieux alors que j’observais un panneau  représentant des méduses.

Médusé je le suis à mon tour. Malgré ses apparences de SDF et son accent roumain prononcé, une parfaite élocution et un œil malicieux me font comprendre que le quidam n’est pas né de la dernière pluie. Je ne sais pas pourquoi, mais cela se sent dans le regard.

Je tente à mon tour un mot d’esprit pour montrer que j’ai de la répartie mais c’est plutôt raté. A partir de là, j’ignore comment, mais nous nous retrouvons à parler de Konrad Lorenz, du coucou des champs, des étudiants prétentieux, de la décadence culturelle en France, des services secrets, de la lucidité bienveillante à ne pas faire d’enfants etc.

Son discours est volontairement provocateur et misanthrope. Mais son air matois trahit qu’au fond, il prend tout cela comme un jeu. Irrémédiablement, vu l’âge, le pays d’origine et le cynisme je me dis que c’est peut-être un poète égaré, ami du philosophe incisif Emile Cioran que je lisais dans ma jeunesse.

Bingo. Ce type habillé comme une épave était un ami de Cioran avec lequel il partageait quelques marches dans le même parc. Au final, un peu comme dans un jeu de devinettes, je lui extirpe le nom d’un de ses ouvrages pour retrouver sa trace ultérieurement.

Désormais, je sais que si je veux retrouver ce drôle de personnage j’aurais le choix entre Wikipedia et le Jardin des Plantes.

Mais pour dénicher les écrits de Denis Buican (tel est son nom) il va falloir vider toutes les librairies !

Aucun lien avec eco-SAPIENS ou l’éco-consommation me direz-vous ! Pourtant il y en a (au moins) un.
Quand on voit la bibliographie de drôle de type, on peut au moins saluer l’éclectisme et la volonté d’approfondir chaque sujet pour y fonder une certaine cohérence. De la biologie à la psychiatrie en passant par le système éducatif, en rajoutant une bonne dose d’écrits poétiques pour lier tout cela, on peut parler de saine curiosité.

Quand on me demande « c’est quoi être eco-SAPIENS » j’aime à répondre que c’est se poser des questions. Pas pour se prendre la tête et rester bloqué. Mais pour avancer… comme dans un jeu de l’oie.

L’éco-consommation, c’est ré-interroger ce que nous consommons tous les jours. Il y a de l’écologie bien sûr, et donc un peu de science. Il y a du social, du rapport humain. Et il y a surtout des histoires. Il y a enfin des pratiques, ce sont les usages. Ceux-ci sont tout autant à placer dans une perspective pratique que symbolique.

Ainsi la chasse d’eau est une drôle de manière de souiller quotidiennement des litres d’eau potable pour expédier tout cela à des usines qui n’ont aucune raison d’exister sinon ce drôle de comportement.

4 réflexions au sujet de “En se promenant dans le Jardin des Plantes”

  1. Il y a des rencontres. Et il y a la rencontre des rencontres. A la description que tu en as faite, j’ai immédiatement reconnu l’esprit vif, d’une impertinence inouïe mais pertinente, d’un homme qui m’a interpelé rue Claude Bernard dans le 5ème, lors de mon passage à Paris en juillet dernier. J’ai oublié la teneur de ses premiers mots mais je me souviens bien qu’ils avaient l’allure d’un test poético-philosophique. Discussion d’une rare intensité, entrecoupée d’invectives aux passantes, qu’il trouvait immanquablement d’une vulgarité pornographique. Toute cette laideur moutonnière et coquette était pour lui un ramassis d’ordures au dessus de quoi ses plus grasses insultes fusaient comme des colombes. Dans son très grand mépris pour les philosophes français contemporains, il manifestait en quelques tournures impeccables une culture non feinte qui ne laissait guère de doute qu’il était lui-même philosophe.
    J’aime beaucoup ce mot de Denis Roche : « la poésie est inadmissible » ; cet homme l’incarne à merveille, si bien qu’on se sent comme un héro de l’admettre amicalement et d’entendre, derrière ses coups de pistolet, l’inimitable finesse de l’esprit. Il n’y a guère d’autre alternative que celle-ci : ou bien être indigné et s’enfuir, ou bien trouver la nuance qui rend sa parole, d’inadmissible, poétique et juste. On peine bien sûr à la trouver mais on se plaît à la chercher tandis qu’il n’hésite pas à surenchérir. Peut-être est-ce là sa manière cynique – au sens antique – de donner à penser.
    J’ai bêtement décliné son invitation d’aller boire un verre chez lui car j’étais en plein concours. Je ne lui ai pas demandé son nom, mais je le reconnais sur les photos qui correspondent à Denis Buican. Il y eut donc une rencontre. Et puis la rencontre d’une rencontre.

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  2. Comme quoi le jardin des plantes est propice aux rencontres : quand j’étais étudiant dans le quartier, j’aimais observer les promenades d’un poète qui se promenait un livre à la main pour aborder les jeunes (et jolies) étudiantes de Jussieu. Il était là tous les jours, tout comme nous d’ailleurs 😉

    Belle rencontre que celle que tu as faite en tout cas !

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