Un an que je n’ai pas écrit.
C’est un luxe de pouvoir publier sans se soucier d’être lu. Et je ne cultive même pas la rareté. La paresse m’a vaincu d’abord. Et l’époque où j’animais ce blog correspondait tout de même à une nécessité d’être vu pour des raisons mercantiles indirectes. Je crois en effet pouvoir me souvenir de cette journée où, nous fondateurs d’eco-sapiens, avions décrété que nous devions faire comme toutes les entreprises et avoir un blog. Petit à petit c’est devenu ma zone.
Le village est aujourd’hui déserté. J’ai déversé beaucoup d’états d’âme. Je me suis adonné au bashing (Tiens… Jancovici est devenu vraiment connu malgré ses bourdes récurrentes…, Tiens Aberkane est devenu un être tout aussi complexe qui suscite encore en moi à la fois admiration et déception…) et je me suis parfois empêtré dans des billets sans queue ni tête.
Un de mes vieux amis aux prises avec la rédaction de son premier roman me confiait la difficulté à trouver une méthode. Le format blog était fait pour moi dans la mesure où je ne fais que butiner et restituer à la va-vite quelques idées chipées au détour de tel écrit ou vidéo. Le premier billet de ce blog a été écrit il y a 18 ans. J’avais 24 ans et le culot de donner mon avis sur la sphère écolo et sur des penseurs grandioses que je pensais avoir compris.
Mais bizarrement il n’y a pas grand chose qui me sépare de ce moi-écrit-vain de jadis. L’aventure eco-sapiens a été de loin la meilleure école d’apprentissage : le code informatique, l’entrepreneuriat, les copains entrepreneurs (quel luxe d’avoir eu de vrais amis parmi nos clients), l’évenementiel, les passages radio et télé… et donc cette obligation à suivre l’actualité ecologique (documentaires, films, cop 15 cop 16 cop 17…)
Mais quel rapport avec la corrida ?
Mais voilà que je me perds déjà dans le fil de mes pensées… Il est parfois savoureux de parler du passé et assurément nombriliste de parler de son passé; la nostalgie est un labyrinthe et mieux vaut vite aller regarder l’avenir car c’est là que se trouvent encore les étonnements.
Voilà donc que j’accepte la proposition d’un ami (un autre écolo entrepreneur…) d’aller faire une feria à Nîmes. L’idée d’aller dans une ville inconnue était déjà séduisante et j’apprends donc qu’il a réservé des places pour la corrida qui a lieu le samedi dans les belles arènes romaines.
En tant qu’écologiste (faut-il rappeler que je parle de pensée écologiste et pas de parti écologiste ?) j’avais déjà vaguement réfléchi à cette question et l’image que j’ai de la corrida est tout de même passable. Tuer un animal pour le spectacle me semble d’un autre âge.
Je prends cela au sérieux et file dans l’après midi à une conférence sur la culture taurine pour avoir au moins un corpus pratique et théorique sur la tauromachie. J’y apprends des choses assez intéressantes par exemple sur l’évolution des « règles » au cour des dernières décennies. Par exemple le fait que les chevaux sont désormais protégés par des caparaçon en kevlar alors qu’il y a peu, les chevaux des picadors étaient régulièrement encornés à mort par le taureau…
La corrida à laquelle j’assiste implique 6 taureaux qui subiront tous l’estocade, le coup de grâce. Il s’agit de bêtes élevées spécialement pour la corrida. Le conférencier expliquait tout à l’heure que ces élevages comprenaient des milliers de têtes car il faut aussurer la reproduction, les remplaçants et tout simplement pouvoir choisir parmi différents lots.
Je vais être franc : si j’ai frémi les premières minutes pour le torero à chaque frôlement de cornes, réalisant que le type risquait réellement sa vie devant moi… le pantelement du taureau et son dernier souffle m’ont peiné mais n’a pas été insupportable. Aucun bruit, à peine quelques gouttes de sang, une certaine dignité de l’animal qui bascule sur le flanc. Presque sobre et élégant. Réglo.
J’espère sincèrement que cette mise à mort disparaîtra… mais on y reviendra.
Non humains et nhamis*
Voilà que le troisème taureau est moins combattif. Ils ont beau agiter leur muleta et l’interpeller, le bovidé se désinteresse du combat. Voici alors un phénomène étrange : tout la foule commence à siffler. Je pense alors qu’ils sifflent le torero qui ne parvient pas à mobiliser l’animal. Mais je finis vite par comprendre grâce à un viel habitué (« Peuchère c’est ma 25ème corrida ! ») que c’est bel et bien le taureau qui est sifflé.
Celui-ci est rapatrié (sauvé ?) et remplacé par un autre qui s’appelle Titanic (sic !). Je demande à mon voisin si on peut vraiment en vouloir à un animal de ne pas « jouer le jeu ». Et je comprends que la plupart des gens ne font pas semblant. Ils considèrent vraiment que le taureau est une personne et que là franchement elle a exagéré, non mais quand même il peut pas arriver dans l’arène et ne rien faire, etc…)
Aussi me suis-je senti bête. Moi l’écologiste fasciné par le monde vivant, qui dévore les revues naturalistes théorise sur la grande famille du vivant, sur l’hypothèse Gaïa et sur la petite place de l’Homme dans ce grand tout ecosystémique, bim ! je suis même pas capable de voir le taureau comme une vraie personne !
Il est amusant que le penseur Bruno Latour qui a popularisé le concept de « non-humains » afin de constituer un parlement des choses n’a à ma connaissance jamais écrit sur la corrida. Bon en vrai j’en profite pour régler quelques comptes. Je n’ai jamais compris la contribution de Latour à l’écologie politique. Un propos abscons, des tonnes de lignes pour parler bien sûr de la catastrophe écologique avec l’exploit de ne jamais écrire nulle part le mot capitalisme… si bien que je l’ai toujours surnommé Bruno Autour…
Voilà que j’insulte les morts… Revenons plutôt au Minotaure.
J’ai quitté Nîmes avec dans ma poche la brochure de la maison des cultures taurines. Une trentaine de pages m’ont permis de réaliser que la tauromachie est un art plurimillénaire, décrit dans de nombreuses cultures, des grottes préhistoriques (Villars – 26 000 ans) aux premières cités (Gobekli Tepe, Catal Hüyük,..) aux premiers écrits (Gilgamesh, Egypte, Celtes, et bien sûr Grecs et Romains…). La tradition perdure au moyen-âge, à la Renaissance. Picasso peint Guernica en s’inspirant d’une oeuvre qu’il avait dédié au matador Mejias tué par le taureau Granadino (pour l’anecdote Mejias refusa de se faire soigner, vous comprenez du coup pourquoi..)
La dernière page de la brochure tente par contre très maladroitement de régler ses comptes philosophiques avec les anti-corridas. Titré « Anthropocentrisme kantien et biocentrisme antispéciste », j’en extrais les paragraphes les plus vindicatifs
A une époque où l’idéologie antispéciste et vegane milite pour l’avènement de l’animal citoyen et la libération animale, où la mort devient virtuelle, où le passé des peuples est questionné par un révisonnisme culpabilisateur et où le présent est orphelin de toute forme de spiritualité philosophique ou sacrée, les conceptions anthropocentriste et biocentriste s’opposent de manière radicale sur la question de la place des animaux dans la société.
Pour la première, l’homme, être raisonnable au sens kantien du terme, est une fin en soi. Pour la seconde, au contraire, tout être vivantr mérite un même respect et il ne peut exister aucune ecxeption à la règle, fut-elle culturelle.
La course de taureaux concilie ces deux conceptions antagoniques car le taureau vit et meurt conformément à sa nature grâce au respect de l’homme qui l’élève en liberté et l’affronte loyalement.
in. La Course de Taureaux, uvtf.fr
Bon bon bon… c’est dommage ça gâche tout. Parce que le taureau ne vit pas libre et ne combat pas loyalement. Et on sera bien en peine de touver la nature du taureau déjà que l’on galère à savoir comment l’homme doit vivre si tant est que quelque chose pouvait être conforme à sa nature. Bref, côté philosophique, c’est pas ça.
Dommage car je suis ressorti de cette expérience mystique et magique (la mort, les arènes, l’irruption du vrai dans la société du spectacle…) plutôt prêt à me dire que la corrida c’est pas mon truc mais qu’on foute la paix à ceux qui aiment ça. Un peu comme une vieille culture aborigène qui nous fascinerait et sur lequel nous n’aurions rien à dire.
« Le barbare c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » disait ce bon vieux Levi-Strauss. Punaise j’en étais sûr, le grand Monsieur lui a parlé de la corrida dès son entrée à l’Académie Française.
Merci à la corrida d’exister.
Et merci à la corrida de continuer à évoluer… si elle veut encore exister.
PS : * Nhamis est le terme employé par les fondateurs de la revue Le Lichen (Laboratoire des Interdependances concernant les Humains et les Non Humains). Voilà une proposition concrète (quoique d’apparence farfelue) pour « egregoriser » les non-humains…