Rythmes scolaires, de quels rythmes parle-t-on ?

 

Sur eco-SAPIENS, hors les questions d’éducation à l’environnement, de cartable écologique et autres cahiers en papier recyclé, nous ne parlons que très rarement de l’école. Le débat sur les rythmes scolaires nous offre l’occasion de nous rattraper, pour questionner radicalement les rythmes scolaires.

Car finalement, de quels rythmes parle-t-on ?

 

 

Sur le site du ministère de l’éducation nationale, on apprend que :

Les écoliers français subissent des journées plus longues et plus chargées que la plupart des autres élèves dans le monde. Or cette extrême concentration du temps d’enseignement, unique à la France, est inadaptée et préjudiciable aux apprentissages. Elle est source de fatigue et de difficultés scolaires.

La réforme des rythmes scolaires vise à mieux répartir les heures de classe sur la semaine, à alléger la journée de classe et à programmer les enseignements à des moments où la faculté de concentration des élèves est la plus grande.

 

On pourrait se réjouir de rythmes scolaires plus adaptés aux rythmes biologiques de l’enfant. Malheureusement, il n’en est rien. Car tout cela procède d’une vision technicienne et quantitative de l’éducation, où il est moins question de l’enfant et de son épanouissement, que de ses performances et de sa « faculté de concentration ».

 

La fatigue évoquée plus haut, n’est pas tant le fait de rythmes scolaires inadaptés à l’enfant, que d’enfants inadaptables au rythme imposé par l’école. Ce n’est pas tant la quantité de temps passé à l’école par jour qui est source de fatigue chez l’enfant. Mais la qualité de ce temps. Il s’agit le plus souvent d’un temps contraint, dirigé, imposé. Donc un temps combattu (avec plus ou moins de discipline, de maîtrise, de contrôle), contre lequel on lutte (intérieurement ou extérieurement), on se débat (consciemment ou inconsciemment) : un temps qui épuise psychiquement l’enfant.

Par conséquent, il ne devrait pas être tant question d’une réforme des rythmes scolaires que de leur suppression.

Laissons les enfants vivre l’école à leurs rythmes.  Propres à chacun. Variables selon l’âge, les saisons, le temps qu’il fait, etc… Laissons-les réguler eux-mêmes leurs temps d’activité et de repos, selon leurs besoins individuels. Laissons-les sentir le moment opportun pour aborder tel apprentissage, découvrir tel concept.

Utopique ? Non.  De telles écoles essaiment de par le monde depuis plus d’un siècle, suite aux recherches de Maria Montessori.

Révolutionnaire ? Sûrement… Car au-delà de la question des rythmes scolaires, cette proposition questionne et fragilise bien des rigidités sur lesquelles notre société et notre psyché se sont construits, et par là même notre rapport à l’autorité, au temps, à la liberté, et à nous-mêmes.

Notre rapport à l’autorité tout d’abord, au travers de la contrainte exercée pour le « bien » de l’enfant. Violence ordinaire, psychique, socialement acceptée. Ou quand la violence que l’on rejoue, après l’avoir vécue dans nos premières années, fait office de bon sens commun partagé (lire à ce sujet les très bons livres d’Alice Miller). En outre, l’école est le premier lieu de la socialisation. Les modèles d’autorité qui y sont pratiqués s’imprègnent en nous et légitiment les structures d’organisations sociales rencontrées plus tard.

Notre rapport au temps : temps libre ou contraint. Ou quand la contrainte intériorisée nous empêche de vivre librement et pleinement « notre » temps, d’en faire véritablement l’expérience, le remplissant de devoirs et d’obligations personnelles : « il faut que… », « je dois… ». D’un point de vue sociétal, on peut s’interroger sur la place centrale donnée au travail dans nos vies, et sur la quasi absence d’un temps choisi.

Notre rapport à la liberté, liberté intérieure surtout. Car comment être véritablement et pleinement libre dans nos choix et nos actions, dans notre vie, quand tout nous a conditionnés à suivre les consignes, les ordres, et à passer sous silence nos envies réelles et notre créativité.

Notre rapport à nous-mêmes, car notre relation à l’enfant est aussi relation à notre enfant intérieur, toujours présent en nous. Nous bafouons les besoins profonds de l’enfant comme jadis nos propres besoins ont été bafoués, et comme nous les bafouons encore… Difficile d’être véritablement connecté à Soi, lorsque nous nous sommes coupés de nous-mêmes dans l’obéissance à la contrainte. Difficile de s’orienter dans la vie quand très tôt nous avons brisé notre propre boussole. L’école qui devrait accompagner et aider l’enfant à trouver sa place dans la société des hommes, participe de cette désorientation en ne nous laissant ni la place ni le temps pour faire nos propres expériences. Pour découvrir et se découvrir. A quoi s’ajoute les injonctions d’une société dans laquelle chacun risque le déclassement voir l’exclusion, et où les diplômes doivent être « rentables ». Dur d’être en adéquation avec nos besoins profonds dans ces conditions…

Tout ne s’opère pas à l’école, nous en sommes conscients. Néanmoins, en tant que miroir de nos sociétés, lieu de la première socialisation, endroit où s’apprend le vivre ensemble, les modèles d’organisation, d’autorité, et d’apprentissage  à l’école nous disent beaucoup d’une société et des individus qui la composent. Les pratiques qu’on y découvre constitue la norme en vigueur, validée par une communauté donnée.

Penser l’école, c’est aussi penser la société. Une véritable « refondation » de l’école réinterrogerait nos sociétés : les objectifs collectivement poursuivis, les modes de pouvoir, l’organisation politique, les outils de l’expression et de la représentation démocratiques. Chiche ?!

4 réflexions au sujet de “Rythmes scolaires, de quels rythmes parle-t-on ?”

  1. Bravo pour cet article qui parle enfin de l’essentiel dans ce débat…

    Permettez-moi de suggérer la lecture suivante : http://www.editions-instant-present.com/apprendre-sans-lecole-p-39.html ; Ce livre est d’une lecture réjouissante parce que John Holt fait une très large analyse critique du système lié à l’obligation scolaire telle qu’elle a toujours cours dans notre société du 21ème et il étale sur la table un éventail tout aussi large de ressources qui permettent d’envisager l’éducation et les apprentissages en les posant sur un autre plan que celui de la coercition : celui de la primordiale liberté de penser et d’agir, y compris pour les enfants. Ses idées et ses propositions prennent racine dans une vision écologique du monde qui, elle, a réussi bon an mal an à progresser et à devenir légitime dans notre société. Cette traduction tardive – le livre date de 1976 – en français a été motivée par le fait que ces idées méritent aujourd’hui plus que jamais d’être plus largement connues et surtout mises en œuvre.

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  2. Incompatibilité enfant, école, travail.

    Ou l’acharnement à générer des situations familiales potentiellement stressantes, frustrantes et préjudiciables à l’équilibre et au bien-être de l’enfant et de ses parents. Les gens sereins ne sont pas de grands consommateurs, les neuro-marketeurs le savent.

    Le principal besoin d’un enfant est la présence de ses parents et principalement de sa mère lors des premières années de la vie. (Ah, vraiment ?)
    Sous le prétexte que la jeune maman, pour se libérer (de ses instincts maternels, de son mari « macho » ?) se doit de travailler, être indépendante financièrement et ainsi contribuer grâce à son pouvoir d’achat à la croissance (!?), est sommée de reprendre une activité professionnelle au plus vite.

    Pour un bénéfice financier souvent moindre, une fois tous les frais déduits, la femme (maman à temps très partiel), abandonne ses rejetons dès 7H ou 8H le matin pour les reprendre vers 18H/19H.

    Emploi du temps classique. Les enfants, après 10/12 H min. de collectivité sont en manque… d’amour, d’affection, d’écoute, de soins, d’attention.
    Dans le meilleur des cas de figure, si la maman est de constitution exemplaire et consciente de la demande urgente et quotidienne de ses enfants à être rassurés (non, elle les aime même si elle passe ses journées à faire autre chose que de s’occuper d’eux), elle va passer les 2 à 3 H qui lui restent avant le coucher, à les bichonner, les câliner, jouer avec eux, les écouter se raconter, les bercer et les embrasser. Mais le plus souvent, les fins de journées n’ont rien d’idyllique plutôt un sprint final où tous les participants sont fatigués, irritables, etc.
    Plus tard (et on en prend pour 10 ans minimum) se rajoutent les devoirs – les DEVOIRS – la plus grande punition pour la maman qui travaille. Des devoirs, qui sont source d’un stress dévastateur au sein des familles. Qui a inventé les devoirs ? Pour culpabiliser les parents en les rendant odieux avec leurs enfants (des enfants gavés autant que faire se peut de toujours plus à ingurgiter sans en comprendre le véritable sens), on ne pouvait pas trouver mieux.

    Bien sûr, le fameux discours : une mère épanouie qui travaille est meilleure maman qu’une mère au foyer si elle consacre 2H/jour de qualité à ses enfants. 2 H de qualité.. ça laisse songeur? Peut-être en effet que dans les familles de nos politiciens, la nourrice à domicile, la femme de ménage, la cuisinière, le permettent.

    Ce qui est possible, c’est d’adapter les horaires et le nombre d’heures de travail.
    Tous ces actifs jetés sur les routes entre 7 et 9 H du matin, embouteillages, angoisse de la pendule, sans compter la routine infernale pour préparer toute la famille. Bonjour, les réveils en douceur. Les injonctions et les « dépêche-toi » au petit-déjeuner pour tous les bambins qui selon la chronobiologie devraient pouvoir dormir jusqu’à 8H et se réveiller naturellement.
    Permettons aux mamans de choisir leurs temps de travail et leurs horaires.

    L’école doit devenir un lieu où l’on tient compte des besoins affectifs et physiologiques des enfants, leurs rythmes individuels, l’équilibre physique/mental, activités manuelles/intellectuelles. Que les instituteurs et enseignants redécouvrent l’importance du lien affectif et de la bienveillance. Des classes de 15 élèves et moins d’heures de cours couplés à une formation des personnels aux besoins des enfants, à la pédagogie active, expérientielle, fédératrice, humaine et citoyenne permettront un apprentissage efficient et tellement moins douloureux et coûteux !
    Et tous les bénéfices pour la société toute entière jusque sur les lieux de travail, moins de résistance passive, de maladie, de dépressions, d’agressivité, de mal-être, de velléité – plus de créativité, de lien social, de solidarité et donc, pour ceux que cela intéresse, de rentabilité (sauf pour l’industrie pharmaceutique).

    Revoyons aussi les conditions d’accueil – haro sur les éclairages au néon, les mobiliers émetteurs de phtalates et autres perturbateurs endocriniens, la mal-bouffe à la cantine (faire du fric avec l’assiette des enfants), les ondes Wi-Fi à tous les étages, les cours bitumées, les sonneries stridentes, etc. L’environnement de travail pour les petits et pour les grands est primordial dans la motivation à faire bien.
    Nos politiques pourraient-ils essayer de faire bien ou c’est trop tard, ont-ils été les premières victimes du système et de ce fait, incapables d’en sortir ?

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  3. @ Laurence : Je prends note de vos conseils de lecture

    @ Pascale : Vous dites beaucoup de chose. Dur d’avoir une réponse sur l’ensemble de ces points.
    Quoi qu’il en soit, je vous rejoins sur l’idée que la société n’est pas du tout pensée pour l’enfant, ni véritablement pour l’humain de manière générale. C’est ici que se pose la question des objectifs poursuivis par une société donnée : l’augmentation de la production ou l’épanouissement du potentiel de chaque individu.

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