Et donc nous avons créé une AMAP

Je ne sais plus exactement comment cela s’est passé.

Il se trouve que mon père, en général aux abonnés absents question écolo, s’était mis en tête de créer une AMAP, une Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne.

Un panier hebdomadaire que des familles vont acheter en finançant un agriculteur local. Les AMAP ont eu le vent en poupe ces dernières années si bien qu’il s’en est créé 1 200 depuis 2001.

Selon le réseau inter-amap, cela représente en 2012 près de 200 000 consommateurs (aussi appelés amapiens). Joli score pour un concept en plein dans l’écologie et la décroissance.

Rappelons que l’AMAP réunit, si l’on peut parler ainsi, tous les mots clés :

  1. local : puisqu’il faut trouver un agriculteur du coin quand même.
  2. social : puisqu’il rassemble physiquement des gens qui s’associent pour partager expériences et recettes de cuisine…
  3. solidaire : puisque c’est un engagement auprès d’un paysan/agriculteur, profession on ne peu plus menacée
  4. écologique : parce que local, de saison et donc pas de suremballage, de transports pharaoniques
  5. bio : certes une AMAP n’est pas toujours bio, mais la nôtre en l’occurrence l’est
  6. équitable : parce que nous limitons les intermédiaires d’un côté et que les prix sont calculés au plus juste
  7. transparent : j’ai les comptes de l’agriculteur et l’on peut discuter sur des prévisionnels.
  8. slow : j’abhorre le terme slow et pas seulement parce que c’est un anglicisme et qu’il sent la mode marketing… Désormais on parle de slow food, de slow fashion, de slow cosmetics. Et bientôt de slow business, de slow trading, de slow banking de cold and slow war !
    Qu’il faille ralentir bien entendu ! Mais pourquoi décliner à gogo des choses qui existent déjà avec d’autres vocables ?
    Bref. Passons vite !

Je crois que l’idée de créer une AMAP sur notre territoire francilien a germé dans l’esprit de mon père pour des raisons qui donc ne sont pas directement écologiques. En fait, ce qui résonnait en lui, c’était la dimension locale. Comment se fait-ce que l’Île-de-France, véritable grenier de l’Europe, aux terres dont la fertilité rivalise avec celles réputées de l’Ukraine, se voit progressivement, rapidement et inexorablement dépossédée de ses agriculteurs.

C’est que dans la grande couronne autour de la capitale, on bâtit pavillon ! On appelle cela l’aménagement du territoire. Une manière de faire le ménage donc.

Le problème est insoluble. Crise du logement il y a. Et pour caser les gens, il faut rogner sur les terres arables. On estime aujourd’hui que le béton saccage chaque année 70 000 hectares de terres en France. L’équivalent des départements de la petite couronne.

Et donc mon père, ce héros, ça le désespère de voir que l’on mange des choses qui viennent de loin tandis que des jeunes agriculteurs cherchent ici à s’installer sans avoir le budget.

Je précise. Mon père ne mange pas particulièrement bio et conservera ses contradictions inhérentes à tout grand père qui veut faire plaisir avec des jeux en toc criard made in china. Mais « à un prix défiant toute concurrence… »

Donc lui c’est le local qui lui parle. Et sur cette face Nord du problème agricole, il a bien raison. Oui la situation est absurde et il faut faire preuve de beaucoup d’obstination pour remettre un peu de bon sens dans nos modes de vie.

Comment ça se passe, créer une AMAP ?

Alors dans un premier temps, il a fallu écouter ce que disait le réseau Inter-AMAP. Et bien entendu il a fallu trouver un agriculteur. Coup de bol ! En voilà un tout jeune, fraîchement sorti de son stage en maraîchage biologique, qui a eu le bon goût de se lancer en bio tout en bas du département !

On est allé le voir. Sur ses terres. On s’est imaginé la récolte à partir des champs encore vides, tous ces légumes en devenir qui finiraient dans notre cabas par la seule attention de cet homme. Et un peu de la nature aussi…

Ca a pris du temps de part et d’autres. Un an environ.

Lui, l’agriculteur, avait des soucis administratifs et techniques. Faire venir l’eau et l’électricité par exemple.

Nous, à l’association, il nous fallait être sûr que sa production rencontrerait, au panier près, la demande nos futurs adhérents. Communiquer, expliquer, informer. Bizarrement, nous avons observé que le bouche à oreille concernant la création de notre AMAP fonctionnait drôlement dans les salles de fitness. Mon père c’est le local. D’autres c’est la forme et la santé. Face Nord ou face Sud, chacun fait son cheminement.

Nous expliquions donc le fonctionnement de l’AMAP, qu’il faut pré-financer la récolte, qu’il faut s’engager non seulement au niveau du porte-monnaie, mais aussi qu’il faudra être là toutes les semaines pour récupérer son panier. Dans une société qui fuit les contraintes et donc l’attachement, on passe forcément pour des extra-terrestres.

Alors j’ai repensé à cette heureuse formule du nom de cette récente maison d’éditions : LLL i.e. Les liens qui libèrent. Je l’avais découverte avec Bidoche, le livre sur la viande de Fabrice Nicolino, grand défenseur de l’agriculture, grand pourfendeur de l’agriculture chimique. Ils publient aussi Latouche et Rifkin. C’est donc une maison d’éditions qui compte. Et leur nom est formidable.

Car oui, parce que nous avons créé une association, nous voici associés, c’est à dire liés. Et en plus nous nous sommes engagés. Et nous avons désormais un lien fort avec un agriculteur.

Et pourtant quelle libération !

Voici que nous ne nous posons plus la question de la provenance ou de innocuité de nos légumes.

Voici que nous rencontrons et retrouvons des gens, plus ou moins inconnus jusqu’ici, alors qu’ils sont nos voisins et que nous avons tant de points communs. Le lendemain, je prenais le café chez l’un et nous jouions de la musique en improvisant. Puis il me faisait découvrir aux jumelles la Tour Eiffel, perdue dans la brume à 40 km de là. Magique.

Voici que nous ne nous posons plus la question de savoir comment innover en cuisine ? Nous cuisions ce qu’il y a. C’est frais et de saison. Et si nous découvrons une variété ésotérique, voici qu’il suffit de se partager les recettes.

Voici aussi que nous nous imprégnons des saisons. Voici que nous nous intéressons aux cycles des végétaux et à leurs maladies qui pourraient directement affecter notre futur repas. Voici que d’autres racontent avec émotion leur souvenir de quand ils étaient minots à la campagne.

Et donc voici notre AMAP !

PS : Sinon il y a des agriculteurs bio dans les centre-villes… comme Ambert

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