Le jour de la grande mutation

UNESCO. Paris.

Pour une avant-première d’un documentaire en 20 épisodes appelé « Les Artisans du Changement« . A la manière du livre « 80 hommes pour changer le monde« , cette série-reportage dresse des portraits en racontant l’histoire du projet. Des hommes et des femmes qui « entreprennent » et qui par leur action, font des choses concrètes et alternatives.

En bref, il s’agit de personnes qui se sont retroussées les manches et ont proposé quelque chose là où le système déployait son inéluctable et néfaste action.

J’avoue avoir toujours un sentiment mitigé devant ce genre d’exercice.

Évidemment, je trouve formidable (pour ne pas dire indispensable) de montrer à quel point les alternatives sont concrètes. Et je trouve salutaire de rappeler que ces gens-là sont toujours, pour reprendre le poncif consacré, des « héros ordinaires« . Bref, de rappeler que nous sommes en fait tous capables de franchir le pas.

Cependant, ce genre de « trombinoscsope » a la fâcheuse tendance à mélanger torchons et serviettes. Et on a parfois le sentiment que les auteurs n’osent pas aborder les points sensibles, comme par exemple la vision à long-terme ou la pertinence initiale du projet.

Dans l’épisode que j’ai vu, il y avait donc trois exemples, trois alternatives concrètes, trois personnalités différentes. Dans trois pays différents.

Je connaissais déjà le projet de voûte nubienne qui est incontestablement une belle histoire en devenir. Il s’agit de repenser l’architecture des maisons au Burkina Faso, en se passant de la tôle et du bois pour le toit. Juste des voûtes en terre crue et en pierre sèche. C’est écologique, social et esthétique. C’est social car en filigrane se dessine un système de « compagnonnage » où chacun peut donc s’approprier la technique de construction.

J’avais entendu parler, via Ashoka, de l’association Ciudad Saludable qui indéniablement permet de redonner une dignité à ceux qui travaillaient de manière informelle dans la récupération des déchets de Lima au Pérou. Ce n’est pas rien. D’autant que le projet se décline en recyclage pour la confection de sacs par exemple. Le défi relevé est tellement énorme que j’ai presque honte de critiquer un aspect pourtant fondamental: ne faut-il pas aussi sensibiliser à la diminution des déchets et de l’emballage en général ?

Enfin, le dernier projet est pour moi une grosse farce. Il s’agit de la Laiterie du Berger au Sénégal. Dans le documentaire le portrait est introduit sur un constat faussement naïf: « pourquoi diable n’y a-t-il pas de débouchés pour le lait qui est de toute façon produit par les vaches des bergers peuls ? » Et un éleveur d’expliquer que le lait de ses vaches ne servait qu’à nourrir les veaux. On le jetait même parfois dans les rivières.

Ils sont vraiment idiots non àIls pourraient le boire au village se dit-on.

Il est quand même assez connu que les peuples asiatiques et africains ont une intolérance au lactose, molécule fortement présente dans le lait de vache. Ceci pour des raisons historiques. Bien entendu cela ne signifie pas qu’un Sénégalais ne peut pas boire de lait ou manger du yaourt. Cela signifie qu’il le digérera plus ou moins bien et que de toute façon, tant mieux pour eux car, contrairement à ce que dit la publicité chez nous : « les produits laitiers ce n’est pas vraiment bon pour la santé ».

Mais ne rentrons pas dans un débat de nutritionniste et soyons lucide un instant. Pourquoi vouloir faire boire du lait à des gens qui traditionnellement n’en consommaient pas bien que, j’insiste, ils le produisaient.

Mais parce que Danone, et l’industrie laitière, en général trouve que la marché occidental (qui commence à bouder les laitages) c’est pas assez grand. Il faut donc convaincre les Asiatiques (voyez Muhammad Yunus au Bengladesh) et les Africains de s’y mettre. Il se trouve qu’en tapant « La laiterie du Berger », on tombe directement sur le lien Danone Communities qui, sous couvert d’action sociale, n’hésite pas à financer tout ce qui peut faire progresser l’industrie laitière dans ces nouveaux continents.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le lait mais je tiens à faire une précision. Je ne pense pas que le lait « c’est mal ». J’en suis même plutôt friand, plutôt sous forme de comté si vous voulez tout savoir !

Je trouve juste gonflé qu’on fasse passer pour social un projet qui n’existe manifestement que pour faire rentrer l’Afrique dans le train du système marchand et industriel.

En préambule du reportage, il y avait notamment un petit discours de Nicolas Hulot. Je dois avouer que le revirement de pensée, au cours des dernières années, chez l’animateur m’interpelle. Plus incisif, n’hésitant pas à rappeler qu’avant d’aider le Sud, on ferait mieux d’arrêter de le piller, notamment par la dette, il a aussi improvisé cette petite sortie sur « le jour de la grande mutation » qui arrivera de toute façon. En clair, Nicolas Hulot croît au grand soir version écologiste, c’est à dire au pas de côté de l’an 01.

J’avoue être plus circonspect sur l’éventualité du jour de la grande mutation

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