J’ai reçu de nombreuses invitations étranges depuis que eco-SAPIENS existe. Je fais partie des privilégiés systématiquement conviés aux conférences de presse du syndicat agricole FNSEA. Et j’ai régulièrement l’opportunité de boire un cocktail au ministère de l’Ecologie. Mais il faut croire que je porte la poisse : M. Hulot démissionna une semaine après l’évènement où je me rendis; puis ce fut M. de Rugy qui fut pincé pour une histoire de homards peu après un autre congrès dans les appartements du boulevard Saint-Germain…
Parfois on me demande d’intervenir. J’ai pu aller raconter des choses plus ou moins intéressantes à un congrès d’infirmiers en Lorraine. M’en sortir honorablement sur une prise de parole dans un séminaire sur le plastique des jouets. J’ai fait rouler des boites de thon dans un supermarché pour un documentaire TV…
Voyez ! Je trie sélectivement.
Je me souviens d’un colloque au museum d’histoire naturelle. Très pointu, sur la biodiversité, avec d’éminents professeurs. Un jeune intervenant avait déclaré son coup de cœur pour le livre « Effondrement » de Jared Diamond. Dans l’assistance, un autre professeur, plus âgé, avait aussitôt fulminé et dénoncé la mascarade de ce livre.
A l’époque, j’attribuais cette colère à une jalousie d’universitaire, peut-être même à de l’anti-américanisme primaire. J’avais dévoré cet essai de Jared Diamond, celui donc sur l’effondrement de civilisations (Pascuans, Vikings du Groenland, …) mais aussi un autre sur en gros « Pourquoi les Occidentaux ont gagné« . Formule un peu provocatrice mais qui au contraire montrait que ce « succès » planétaire du modèle occidental, était lié à une configuration géographique initiale avantageuse pour l’Europe (céréales, reliefs, animaux sauvages…)
Un peu comme une partie de « Civilization » où vous démarrez avec une carte pleine de ressources (ou plein d’as au poker) et donc vous n’avez pas grand mérite à remporter la manche.
Je crois aussi que ma passion pour l’île de Pâques a démarré ce jour là. Evidemment, je connaissais l’histoire de cette île sur-exploitée par les autochtones. Elle est la fable parfaite, à huis clos, de ce qu’est un écocide et donc d’une mise en garde planétaire : ne surexploitons-pas la planète sur laquelle nous vivons.
Cette fable est d’ailleurs tellement ancrée dans l’imaginaire populaire qu’EDF illustrait ses campagnes publicitaires avec des moaï afin de sensibiliser aux économies d’énergie.
Le début du greenwashing…
En compagnie de Francis Maziere
Je tombe un jour par hasard sur « Fantastique Île de Pâques« , le récit de l’anthropologue écrit par l’ethnologue Francis Maziere. Ayant la chance de connaître la culture polynésienne car marié à la fille du roi de Tahiti, il est resté un an sur l’île (1963) pour mener des fouilles et des entretiens avec les vieux sages de l’île. Evidemment, il brûle de percer le mystère : comment ont-il pu ériger de tels blocs de pierre. Qui plus est sans arbres. Ne souhaitant pas divulgâcher, je vous invite à lire ce best-seller (si si… à l’époque on lisait cela !)
Mais je peux vous dire que la réponse est évidente…
En compagnie de Thor Heyerdahl
En 1956 un autre navigateur un peu givré (car oui à l’époque il fallait soi même organiser son voyage à la voile, sur une cinquantaine de jours pour débarquer…) entreprend les premières fouilles archéologiques.
C’est un Norvégien, il s’appelle Thot Heyerdahl, et il veut montrer que la colonisation de l’Île de Pâques est venue d’Amérique et non de Polynésie. Cette théorie est aujourd’hui abandonnée… il est même possible que des Pascuans soient parvenus à découvrir la côte andine.
Mais je m’égare…
Ce que j’appris avec ces deux récits, c’est qu’en fait Jared Diamond a dit beaucoup de conneries… Des petits arrangements avec la réalité, une manière de ne garder que les témoignages des premiers explorateurs (Roggeveen, Cook, La Pérouse) qui vont dans le sens qui l’arrangent.
Par exemple les autochtones auraient été décimés et les survivants devenus faméliques. Rien n’est moins sûr. Il y a des témoignages étonnants sur le fait que les Pascuans, devenus méfiants par les différents manques d’urbanité de nos valeureux explorateurs (surtout Cook), avaient décidé de cacher les enfants dans des grottes secrètes.
Je ne veux pas rentrer dans les détails pour arriver à l’épisode majeur qui a vu la civilisation de l’ïle de Pâques agoniser. A savoir… la capitalisme !
Car au XIXème siècle, les Péruviens réduisent en esclavage les habitants pour aller extraire du guano. Ceux qui sont revenus amenaient des maladies qui eurent vite fait d’amener la population à une centaine d’individus.
Une histoire bien connue, à peu de chose près celle des conquistadors espagnols en Amérique pré-colombienne.
Bref, j’ai redécouvert une Île de Pâques plus complexe. En proie à des tensions, des massacres entre « longues oreilles » et « courtes oreilles », une île décrite comme luxuriante quand elle fut décrite par les premiers Européens.
Bref, une petite île où au contraire, un peuple vivait avec son environnement et où la régulation se faisait par ce que l’Homme sait le mieux faire : s’entre-tuer.
Alors j’aurais vraiment aimé que l’Île de Pâques garde ce statut de fable écologique invitant à la résilience. Mais comme disait Brecht « malheureux les pays qui ont besoin de fables ».