J’ai donné hier une conférence à Paris sur « la levée de fonds en coopérative grâce à ce machin bizarre qu’est la SEP ». Invité par l’Atelier Ile-de-France, qui est le centre de ressources francilien sur l’économie sociale et solidaire, j’ai pu partager, pas tant mon expertise que mon expérience.
Cependant, étant donnée la qualité des échanges qui suivirent et les remerciements, il faut croire que ma prestation ne fut pas trop indigente. Voilà pour le personal branding…
Pour ceux qui auraient raté un épisode, eco-SAPIENS est une SCOP (société coopérative) ce qui signifie que le capital est détenu majoritairement par ses salariés. Un homme comptant pour une voix, peu importe le nombre de parts (oui oui, comme dans une démocratie…) vous comprendrez qu’il est impossible d’accueillir une foule de sociétaires extérieurs. D’où la technique de la SEP, société en participation, qui permet d’ « encapsuler » dans une seule personne, toutes les bonnes âmes désireuses de rejoindre l’aventure.
Pour en savoir plus, nous avions expliqué l’opération ici. L’objectif d’antan ayant été rempli, inutile de demander une souscription. Trop tard !
A mon sens, ce montage financier est franchement innovant puisque plus de 100 personnes (physiques, entreprises, scop, association, cigales..) ont rejoint le navire. Et qu’il suscite des coups de fil d’entrepreneurs et avocats intrigués par la bête. La SEP est un être hybride, à mi-chemin entre de l’investissement capitalistique classique et du love money.
- Capitalistique compte tenu de la déduction fiscale, des dividendes et du droit de regard (mais pas de contrôle !).
- Love Money car j’ose penser que beaucoup de nos financ’acteurs l’ont fait davantage par bienveillance que par vénalité.
Hasard du calendrier, le même jour se lançait une plateforme dédiée aux prêt collaboratif nommée HelloMerci. Inaugurée par la sympathique plateforme de crowdfunding KissKissBankBank (dont nous avions parlé ici). Pour ceux qui auraient raté un train, le crowdfunding (financement par la foule) est la tendance de ces dernières années… non sans poser des questions métaphysiques.
Car quand on parle argent et finances, on fait de la métaphysique. Si si !
D’abord, on ne s’étonne plus qu’il soit tout à fait licite d’inciter publiquement aux dons. Qu’Emmaüs, le WWF ou la Ligue Contre le Cancer vous demande des sous à la télé ou dans un journal, cela ne choque pas. Par contre, on ne se demande plus pourquoi il est illicite de faire de l’appel public à l’investissement. L’appel public à l’épargne est en effet ultra encadré en raison de certains scandales financiers au XXème siècle (arnaque liée à l’affaire Satvisky notamment, et plus près de nous Madoff). En effet, comme au jeu de hasard, l’appât du gain lié à l’investissement entraîne des comportements addictifs auquel seul un investisseur qualifié pourrait échapper.
Les établissements bancaires ont un agrément et détiennent, en quelque sorte, un oligopole dans l’octroi de crédit. Evidemment, les choses sont aujourd’hui plus complexes puisque les vendeurs eux-même font désormais du crédit à la conso ( « payez en trois fois » avec Carrefour etc).
Il y a quelques mois se lançait l’équivalent français des union bank américaines, c’est à dire du prêt entre particuliers. Bref, on sautait un intermédiaire, à savoir la banque. Système dans le principe assez sain. Des particuliers aisés prêtent à des particuliers dans le besoin avec un taux négocié entre les partis. De même que Indymedia invite chacun à être journaliste, ce prêt d’union invite chacun à être banquier.
Avec le succès du crowdfunding, on est même arrivé à un point où des films, des revues, des voyages, etc sont financés en quelques mois par de généreux donateurs qui, cette fois, ne veulent pas revoir leur argent. Bref, chacun peut devenir non plus banquier mais mécène. Une bouffé d’air frais pour tous les entrepreneurs dans l’âme.
Quant à nous, avec notre système confidentiel de SEP, nous invitions chacun à devenir investisseur et sociétaire.
Le banquier, le mécène et le sociétaire.
3 niveaux d’implication différents avec des dispositifs fiscaux et légaux spécifiques. Oui il est bon que la finance sorte un peu des cadres classiques et devienne participative, directe voire locale.
En revenant de Paris, j’ai pourtant lu avec passion le rapport annuel de ma banque. Elle s’appelle La Nef et j’irai, pour la troisième fois, à son assemblée générale. C’est à peu près le seul moment où l’argent n’a plus le même sens tel qu’on l’entend en écoutant les informations. L’argent comme matière informe, moite et vertigineuse. Rappelons nous Kerviel qui perd 3 milliards et rien ne se passe.
Or on peut parler d’argent comme un vecteur. La Nef parle de « l’argent qui relie les hommes » ayant bien conscience que l’argent n’a de valeur que lorsqu’il circule et jamais lorsqu’il cherche à être séquestré.
Banque éthique, banque locale, banque directe, banque participative… Et dire qu’il y a 3 ans, je découvrais d’un air dubitatif une conférence sur les monnaies libres. Toute crise sécrète son alternative.
Ou, pour citer le poète Hölderlin, là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.